
Des prévisons de croissance moins vigoureuses en Afrique subsaharienne malgré quelques bonnes surprises, les réformes à envisager face à un environnement global marqué par des changements de priorités chez les leaders mondiaux: Amadou Nicolas Racine Sy, économiste et conseiller du directeur dans le département Afrique du Fonds Monétaire International (FMI), où il travaille depuis plus de 24 ans, revient sur les perspectives économiques revisées d’avril 2025 pour l’Afrique subsaharienne.
Agence Ecofin : Le FMI a publié le 25 avril 2025, ses perspectives révisées pour l’Afrique subsaharienne et l’Afrique en général. Selon les premiers éléments de ces perspectives, la croissance en Afrique subsaharienne devrait atteindre 3,8 % en 2025 et 4,2 % en 2026. Bien que ces chiffres soient en dessous des prévisions d’octobre 2024, ils marquent une légère amélioration par rapport à 2023 et 2024. Pourquoi le FMI considère-t-il que cette croissance reste un défi, alors que dans d’autres régions du monde, la progression dans la création de richesses sera moins soutenue ?
Amadou Sy: Après quatre ans de chocs successifs, nous étions effectivement un peu plus optimistes pour 2025 et 2026. En 2024, le dernier trimestre a apporté de bonnes surprises dans plusieurs pays, ce qui nous a permis de réviser à la hausse nos prévisions pour cette année-là. Cependant, pour 2025, nous anticipons un ralentissement de la croissance régionale, principalement en raison de conditions mondiales turbulentes. En particulier, que l’incertitude autour des droits de douane américains entraîne une baisse de la demande extérieure globale. Nous avons dû réviser à la baisse les prévisions de croissance pour les principaux partenaires commerciaux de la région, comme la Chine et l’Union européenne.
« Enfin, nous observons un durcissement des conditions financières, avec une forte augmentation des spreads souverains pour les pays africains. »
Deuxièmement, nous prévoyons une baisse des prix des matières premières, notamment du pétrole. Cela pose problème pour les pays exportateurs de pétrole, même si les importateurs pourraient en bénéficier. Enfin, nous observons un durcissement des conditions financières, avec une forte augmentation des spreads souverains pour les pays africains. Ce ralentissement est problématique car il est inférieur au potentiel de croissance de la région, estimé entre 4 et 4,5 % en moyenne. Cela aggrave la pauvreté et complique la sortie du cycle de pauvreté pour les populations vulnérables. En termes de croissance par habitant, ce ralentissement freine la convergence vers les niveaux des pays plus riches, une convergence essentielle pour nos pays.
Agence Ecofin : Ces chiffres masquent des disparités, notamment pour les pays à faible revenu où l’on attend une croissance autour de 5,8 %, en décalage avec le ralentissement global. Pourriez-vous détailler quels pays seront les moteurs de cette croissance et ceux qui risquent de rencontrer des freins ?
Amadou Sy : Vous avez raison, malgré une dégradation moyenne, les performances varient considérablement. Onze des vingt économies mondiales à la croissance la plus rapide en 2025 sont en Afrique subsaharienne. En 2024, le Niger et le Rwanda ont affiché les taux de croissance les plus élevés de la région. D’autres pays, comme le Bénin, l’Éthiopie, la République démocratique du Congo, la Guinée, le Sénégal et l’Ouganda, ont enregistré des croissances supérieures à 6 %, principalement grâce à des économies diversifiées, sauf pour la RDC et, dans une moindre mesure, la Guinée.
« En 2024, le Niger et le Rwanda ont affiché les taux de croissance les plus élevés de la région. D’autres pays, comme le Bénin, l’Éthiopie, la République démocratique du Congo, la Guinée, le Sénégal et l’Ouganda, ont enregistré des croissances supérieures à 6 % ».
À l’inverse, les pays avec une croissance inférieure à 2 % incluent le Botswana, la République centrafricaine, le Tchad, la Guinée équatoriale, Sao Tomé-et-Principe, l’Afrique du Sud, le Soudan du Sud et le Zimbabwe. Les pays riches en ressources naturelles, notamment les exportateurs de pétrole, affichent une croissance faible. Cependant, il y a des signes positifs : le Nigeria, par exemple, a atteint 3,4 % de croissance en 2024, grâce à une production d’hydrocarbures plus élevée et un secteur des services dynamique. Cela montre qu’il faut analyser les performances pays par pays.
Agence Ecofin : Revenons à l’Afrique subsaharienne. Cette croissance semble insuffisante pour répondre aux besoins de près de 900 millions de personnes. De plus, elle manque d’inclusivité, comme le FMI le souligne souvent, avec des revenus nationaux bruts réduits par les déficits commerciaux, le remboursement de la dette et la rémunération des capitaux investis. Comment le FMI collabore-t-il avec les gouvernements pour préserver cette faible valeur ajoutée au sein des économies locales ?
Amadou Sy : La région a besoin d’une croissance plus rapide et inclusive pour améliorer le niveau de vie, et nous pensons que c’est réalisable. Le FMI travaille avec les gouvernements sur trois priorités. Premièrement, rétablir et soutenir la stabilité macroéconomique, une condition nécessaire. Dans des contextes d’inflation élevée ou de volatilité monétaire, les décisions économiques deviennent complexes. Cette stabilité doit être calibrée selon les déséquilibres et les contraintes politiques de chaque pays.
Deuxièmement, faire de la politique budgétaire un levier d’inclusion. Côté recettes, il y a une marge pour augmenter les recettes fiscales de manière équitable, en améliorant l’administration fiscale plutôt qu’en augmentant les taux d’imposition. Côté dépenses, il faut renforcer la protection sociale et les services publics, tout en hiérarchisant les investissements. Une stratégie budgétaire à moyen terme, soutenue par un cadre institutionnel solide, peut réduire les coûts économiques et sociaux des ajustements.
« Côté recettes, il y a une marge pour augmenter les recettes fiscales de manière équitable. Côté dépenses, il faut renforcer la protection sociale et les services publics. »
Troisièmement, accélérer les réformes structurelles pour une croissance durable et inclusive. Le secteur privé doit jouer un rôle moteur en améliorant le climat des affaires et la gouvernance. Pour les pays dépendants des ressources naturelles, comme l’Angola où 90 à 95 % des exportations reposent sur le pétrole, il faut lever les obstacles à la diversification. Ces réformes nécessitent une communication avec les parlements et la société civile pour garantir leur mise en œuvre.
Agence Ecofin : Le secteur extérieur impacte fortement les économies africaines. Après la Covid, la guerre en Ukraine, et maintenant les incertitudes liées à la présidence américaine, comment le FMI conseille-t-il les pays face à cette volatilité mondiale, au-delà des réformes internes ?
Amadou Sy : Nos économies sont très vulnérables aux chocs externes, sur lesquels les décideurs ont peu de contrôle. Nous conseillons de réduire les vulnérabilités macroéconomiques tout en répondant aux besoins de développement, dans un cadre socialement et politiquement acceptable. C’est un équilibre délicat. Il faut calibrer les politiques macroéconomiques et constituer des marges de manœuvre, comme des réserves budgétaires, même si cela est politiquement difficile. Comme l’a dit une ancienne directrice du FMI, « il faut réparer le toit quand le soleil brille ».
« Comme l’a dit une ancienne directrice du FMI, « il faut réparer le toit quand le soleil brille ».
Constituer ces coussins de sécurité, par exemple en limitant les dépenses lors de hausses temporaires des revenus pétroliers, est une assurance contre les chocs. Les gouvernements ne sont pas seuls : le FMI, la Banque mondiale, la Banque africaine de développement et d’autres partenaires jouent un rôle. Mais le secteur privé, y compris les PME, doit être mobilisé en réduisant les obstacles réglementaires. Face à une croissance démographique rapide et aux besoins des jeunes en éducation et santé, accélérer ces réformes est impératif.
Propos receuillis par Idriss Linge