
Kyé-Ossi, Bitam, Ebibeyin : trois villes frontalières, trois pays engagés, une ambition commune. Du 17 au 30 juillet 2025, la Foire transfrontalière d’Afrique centrale (FOTRAC) tient sa 16e édition sous le thème : « Transformer les corridors d’Afrique centrale en de véritables passerelles sécurisées pour l’atteinte des objectifs du développement durable de la ZLECAF ». Mais derrière les slogans de l’intégration continentale, les réalités de terrain rappellent que les frontières d’Afrique centrale restent souvent synonymes d’enclavement, d’abus et de tracasseries.
« Le citoyen de la communauté a besoin de se sentir en sécurité. Lorsque nous parlons de passerelles sécurisées, c’est parce que nous connaissons les obstacles : contrôles abusifs, tracasseries administratives, comportements zélés de certains jeunes policiers ou gendarmes. Même les citoyens en règle voient leur mobilité entravée », souligne Jeanne Danielle Nlate, promotrice de la FOTRAC et présidente du Réseau des femmes actives d’Afrique centrale (REFAC).
Une plateforme pour casser les barrières
Au cœur de l’événement, une revendication: faire des frontières un levier économique plutôt qu’un frein. La priorité affichée est la fluidification des échanges, en particulier pour les femmes commerçantes, véritables chevilles ouvrières du commerce informel régional. L’enjeu est de mettre fin aux entraves quotidiennes qui ralentissent, dissuadent ou épuisent les actrices de la libre circulation.
« Des femmes viennent de Brazzaville, N’Djamena, Moundou, Bambari, Kinshasa, et même de la diaspora. Elles parcourent de longues distances pour vendre, acheter, apprendre… Elles ne doivent plus être freinées par des pratiques archaïques », affirme Jeanne Danielle Nlate.
Des engagements diplomatiques à l’épreuve
Pour la première fois, les trois pays frontaliers – Cameroun, Gabon et Guinée équatoriale – sont pleinement engagés dans l’organisation. L’événement connaît une participation record, avec des délégations venues de plus de dix pays. Des institutions stratégiques telles que les ports de Douala et Kribi, les conseils des chargeurs ou encore les administrations frontalières sont également présentes. La mobilisation est forte, le programme dense : expositions-ventes, conférences-débats, ateliers, formations… tous les ingrédients sont réunis pour parler d’intégration.
Mais les difficultés structurelles persistent. Les contrôles non réglementaires prolifèrent, la corruption mine la confiance, les systèmes douaniers restent désynchronisés, et certaines routes demeurent dangereuses. Ces dysfonctionnements freinent lourdement le commerce régional et fragilisent les petits opérateurs économiques.
Incohérences
Malgré une reconnaissance du savoir-faire camerounais, la promotrice ne cache pas sa déception face à la tiédeur de la mobilisation nationale. « Nos frères et sœurs du Cameroun doivent se mobiliser. Ils doivent venir découvrir, partager, apprendre des autres. C’est une opportunité d’améliorer leurs productions. »
Et elle insiste : « La Camerounité est saluée pour son savoir-faire et son expertise, mais certains comportements persistent : retards d’inscription, attentes de gratuité, manque d’implication. »
Alors que la ZLECAF promet un espace commercial continental intégré, la réalité dans les corridors d’Afrique centrale tranche avec l’ambition affichée. Des zones supposées soutenir l’émergence économique demeurent plombées par des pratiques archaïques et un manque d’harmonisation institutionnelle.
Faire des frontières des passerelles de croissance suppose bien plus que des rencontres annuelles. Il faut des réformes concrètes, des décisions politiques courageuses et une implication active des populations. À défaut, la ZLECAF risque de n’être qu’un concept creux, sans impact réel sur le quotidien des commerçants et commerçantes de la région.